Retraites : Schröder introduit la capitalisation, Jospin continue de défendre la répartition.

Les membres de la coalition rouge-verte au pouvoir en Allemagne depuis octobre 1998 ne perdent pas de temps. Ils viennent d’adopter un projet visant à limiter la hausse des cotisations d’assurance vieillesse en introduisant une dose de capitalisation. Cette démarche, incontournable dans un contexte de vieillissement démographique, n’a malheureusement pas les faveurs de Lionel Jospin. Incapable d’expliquer à sa majorité plurielle qu’un passage à la capitalisation est inéluctable, le premier ministre s’est contenté d’installer la semaine dernière un conseil d’orientation des retraites.

Pragmatiques, les rouges-verts allemands introduisent une dose progressive de capitalisation.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les membres de la coalition rouge-verte allemande agissent en politiques responsables. Soucieux de pérenniser le pouvoir d’achat des futurs retraités, ils proposent de combiner la répartition avec la capitalisation dès l’année prochaine. Cette démarche, qui marque une rupture avec la conception assurantielle allemande, est la seule qui permette d’éviter la paupérisation des futurs retraités. En effet, en raison de l’augmentation du nombre de pensionnés et de la stagnation de la population active, le montant des retraites par répartition devrait sensiblement décliner d’ici à 2050. Alors qu’un allemand prenant sa retraite en 2020 percevra chaque mois 122 DM (410 francs) de moins qu’aujourd’hui, le manque à gagner mensuel atteindra 960 DM en 2050 (1.540 francs).

Aussi, les sociaux-démocrates et écologistes proposent aux salariés de capitaliser en prévision de leurs vieux jours. Ils veulent les inciter à épargner 0,5% de leurs salaires bruts dès 2001 et à accroître progressivement la part de la capitalisation, afin de placer 4% des salaires en 2008. A terme, cette épargne procurerait, grâce aux intérêts composés, un complément de retraite conséquent équivalant à la moitié des pensions financées par la répartition. Le pouvoir d’achat des futurs retraités serait préservé - voire accru - sans qu’il soit nécessaire d’augmenter drastiquement les cotisations retraites pesant sur les actifs. Le taux de cotisation alimentant la répartition - qui représente aujourd’hui 19,3% des salaires bruts - ne dépasserait pas 20% jusqu’en 2020 et resterait en dessous de 22% en 2030. L’économie serait importante puisque les autorités allemandes pensent que, faute de capitalisation, il faudrait porter les taux de cotisation répartition à 30% des salaires bruts pour préserver le pouvoirs d’achat des retraités.

Dogmatique, la gauche plurielle française cache aux français l’inéluctable faillite de la répartition.

Le malheur est qu’à l’opposé des rouges-verts allemands, les représentants de la gauche plurielle française refusent de se comporter en politiques responsables. Aveuglément attachés à la répartition, ils parent cette dernière de toutes les vertus. Ils la présentent comme un instrument de redistribution des richesses et un moyen de renforcer la solidarité intergénérationnelle. Or, la réalité est toute autre.

D’une part, les retraites par répartition sont anti-redistributives. Elles pénalisent doublement les personnes modestes ayant souvent une espérance de vie inférieure à la moyenne. Non seulement leurs revenus d’activité sont amputés par les cotisations vieillesse mais, en outre, les personnes modestes obtiennent en l’échange des pensions sous évaluées dans la mesure où elles ont statistiquement une retraite plus courte que la moyenne. 

D’autre part, la pratique qui consiste à léguer la charge des retraites aux générations futures n’est en rien solidaire. Initiée par le gouvernement de Vichy, qui tablait sur une relance de la natalité, elle n’est pas viable dans un contexte de vieillissement démographique. A titre d’illustration, les projections du Ministère de l’emploi et de la solidarité attestent qu’il faudrait augmenter le taux de cotisation assurance vieillesse dans des proportions insoutenables si l’on persistait dans la répartition. Là où sont aujourd’hui prélevés 19,2% des salaires bruts, il faudrait porter le taux de cotisation à 25% des salaires en 2020 et 29% en 2030. Or, une telle augmentation de cotisation pénaliserait lourdement les actifs et, d’une manière générale, l’économie française. Les simulations usuelles montrent qu’avec un tel accroissement des prélèvements sociaux, le taux de chômage d’équilibre augmenterait de deux points, effaçant ainsi l’embellie conjoncturelle que nous connaissons depuis 1997.

Les mesures mises en œuvre par Lionel Jospin sont notoirement insuffisantes.

Face à cette catastrophe annoncée, la ligne de conduite de Jospin tient de la méthode coué. L’hôte de Matignon a multiplié les rapports et les concertations sans jamais passer à l’acte. Soucieux de masquer son attentisme, il se contente de déclarations lénifiantes et de succédanés de réformes. Il en va ainsi du fonds de réserve qui, créé en 1999, serait progressivement abondé pour disposer de 1000 milliards en 2020. A l’évidence, cette somme est notoirement insuffisante puisque le besoin de financement annuel serait déjà de 300 à 400 milliards de francs en 2020 (le Commissariat général du Plan table sur un déficit annuel de 700 à 800 milliards de francs en 2040).

La mise en place, le 30 mai, d’un Conseil d’orientation des retraites témoigne aussi de l’attentisme gouvernemental. Crée à l’instigation Lionel Jospin, qui a déjà commandé une demi douzaine de rapports et concertations en 3 ans, ce comité a été présentée comme une structure de dialogue et d’information. Or son président, une ancienne collaboratrice de François Mitterrand, a déjà annoncé que le conseil ne serait « ni un lieu de négociation ni un lieu de décision ». Il va s’en dire qu’aucune réforme sérieuse ne sera entreprise d’ici à la présidentielle de 2002. Hasard du calendrier, le mandat de Schröder arrivera à terme au même moment. Mais il semble que, des deux côtés du Rhin, les socialistes aient fait des choix stratégiques radicalement opposés. Alors que Gerhard Schröder jouera sa réélection sur ses réformes structurelles – telles la pérennisation des retraites moyennant l’introduction d’une dose de capitalisation – Lionel Jospin préfère ne rien faire pour satisfaire sa « gauche plurielle ».