Selon l'INSERM, les inégalités sociales devant la mort ne se résorbent pas.

Prenant le contre-pied du satisfecit décerné à la France par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l'INSERM vient de montrer que l'espérance de vie des français varie fortement selon leur catégorie socioprofessionnelle. Loin de se résorber, les inégalités sociales devant la mort s'élargissent. Notre Sécurité Sociale serait-elle en cause ? En tout cas, les retraites par répartition spolient les ouvriers – une conclusion qui a échappée à l’INSERM.

Le tout récent recueil d'études sur les inégalités sociales devant la maladie et la mort publié sous l'égide de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) est sans appel. En dépit de l'élargissement de l'accès aux soins, la France "fait partie des états européens où les disparités devant la mort sont les plus fortes". L'espérance de vie des hommes continue à varier fortement selon leur catégorie socioprofessionnelle. A 35 ans, un ouvrier à une espérance de vie inférieure de 6 ans et demi à celle d'un cadre du même âge (tableau 1) et l'écart monte même à neuf années lorsqu'on compare un ouvrier non qualifié à un cadre de la fonction publique. Ce fossé, mis en exergue dès le XIXème siècle grâce aux travaux de Louis-René Villermé, a eu tendance à s'accentuer. Si l'espérance de vie augmente pour toutes les catégories sociales, l'amélioration de l'état sanitaire favorise avant tout les français aisés. Pour les femmes, des inégalités d'espérance de vie existent également, mais les disparités sociales sont plus réduites puisqu'on n'observe à 35 ans qu'un différentiel de 3,5 ans d'espérance de vie entre ouvrières et cadres.

Tableau 1: Espérance de vie et probabilité de décès

catégorie socioprofessionnelle

Espérance de vie à 35 ans (en années)

 

Hommes

Femmes

Cadres-professions libérales

44,5

49,5

Agriculteurs exploitants

43,0

47,5

Professions intermédiaires

42,0

49,0

Artisans commerçants

41,5

48,5

Employés

40,0

47,5

Ouvriers

38,0

46,0

Cohortes INSEE 1982-1996

L'institut national précise que la mortalité des manuels entre 45 à 59 ans est supérieure de 71% à celle des hommes du même age ayant une activité intellectuelle. Ce niveau de surmortalité masculine est sans commune mesure avec les 33% à 53% de surmortalité constatés dans les autres pays européens. De même, l'on observe également que les disparités sociales sont plus fortes en France que dans les autres pays lorsqu'on prend en compte le niveau d'études. Les hommes de 35 à 50 ans sans diplôme ont en effet une mortalité quasiment trois fois supérieure à celle de ceux ayant fait des études supérieures (tableau 2). Au total, l'INSERM estime que 10.000 décès par an seraient évités si la mortalité des ouvriers et employés s'alignait sur celle des cadres et professions libérales. Mais les chercheurs de l'institut national prennent soin d'ajouter que la surmortalité des manuels ne relève pas nécessairement de facteurs économiques et de disparités d'accès aux soins. Une partie non négligeable de la mortalité prématurée des hommes résulte en effet de cancers et maladies de l'appareil digestif laissant à penser que des facteurs comportementaux, tels la consommation d'alcool, sont en cause.

Tableau 2 : Indices standardisés de mortalité en fonction du diplôme et du sexe

Diplôme en 1975

35 à 50 ans

50 à 60 ans

60 à 75 ans

 

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

Aucun diplôme

1,3

1,3

1,2

1,2

1,2

1,2

CEP

0,9

0,9

0,9

0,9

0,9

0,9

BEPC

0,8

0,9

0,9

0,8

0,9

0,8

BAC

0,7

0,8

0,6

0,8

0,8

0,5

Etudes supérieures

0,5

0,5

0,5

0,8

0,6

0,7

Ensemble

1,0

1,0

1,0

1,0

1,0

1,0

Cohortes INSEE 1980-1989

Autre enseignement marquant de cette étude, les hommes - et dans un moindre mesure les femmes - sont inégaux devant l'assurance vieillesse. La probabilité d'arriver à 65 ans est d'autant plus faible que les personnes sont peu diplômées et ont commencé à travailler tôt. Les ouvriers de 35 ans courent deux fois plus de risques de ne pas dépasser les 65 ans que les cadres et professions libérales (tableau 3). En outre, la retraite des manuels est plus brève que celles des professions intellectuelles. L'INSERM précise notamment que 45% des ouvriers spécialisés ayant pris leur retraite en 1972 étaient décédés 10 ans plus tard, contre 18% des techniciens et cadres. Pourtant ces O.S. avaient, en moyenne, cessé leur activité 3 ans avant les professions intellectuelles. Il est ainsi fort probable que les retraites par répartition contribuent à accroître les inégalités sociales.

Mais, malheureusement, les chercheurs de l'institut national sont extrêmement peu prolixes sur ce sujet qui reste éminemment tabou. S'il est politiquement correct d'agiter le spectre des inégalités sociales pour légitimer la mise en place d'une assurance maladie universelle, il serait parfaitement malsain de faire état des mêmes inégalités pour mettre en doute le caractère "social" ou "redistributif" de la répartition.

Tableau 3 : Probabilité de décès

Probabilité de décéder entre 35 et 65 ans (en%)

Hommes

Femmes

Cadres-professions libérales

13,0

6,5

Agriculteurs exploitants

15,5

8,0

Professions intermédiaires

17,0

7,0

Artisans commerçants

18,5

7,5

Employés

23,0

8,5

Ouvriers

26,0

10,5

Cohortes INSEE 1982-1996