Redonner le contrôle de leur vie aux
actifs : la privatisation des retraites en Amérique latine,
par José Piñera, ancien Ministre du travail.
Les plans d'épargne retraite chiliens
La transition
Les résultats
Conclusion
Un spectre hante le monde :
celui de la faillite des systèmes publics de retraite par répartition qui ont
dominé durant la plus grande partie du siècle. Enracinés dans une fausse
conception du comportement humain, ils présentent le défaut fondamental de
détruire le lien essentiel entre l'individu et sa récompense ou, en d'autres
termes, la relation entre responsabilité personnelle et droits individuels.
Chaque fois que cela se produit à grande échelle et sur une longue période, le
résultat ne peut être que désastreux.
En outre, deux facteurs
extérieurs aggravent ce dysfonctionnement. D'une part, la démographie globale
tend vers la baisse du taux de natalité ; d'autre part, les progrès médicaux
rallongent l'espérance de vie. Par conséquent, de moins en moins de
travailleurs subviennent aux besoins des retraités de plus en plus nombreux.
Puisque le recul de l'âge de la retraite et l'accroissement des cotisations
salariales ont une limite maximale, les systèmes par répartition devront, tôt
ou tard, revenir sur leurs engagements et réduire les pensions promises.
Les pouvoirs publics useront
pour ce faire soit de l'inflation, à l'image de ce qui se fait dans la plupart
des pays en voie de développement, soit de modifications législatives. Dans
tous les cas le résultat sera le même et les retraités, tributaires de la
répartition, peuvent d'ores et déjà s'inquiéter pour leurs vieux jours.
Paradoxalement, l'assurance vieillesse est ainsi un facteur d'insécurité
sociale.
Face à cela, le gouvernement
chilien a décidé de prendre les devants dès 1980. Les retraites par répartition
ont été remplacées par un système national à base de plans d'épargne retraite
privés. Après 16 ans de fonctionnement, les résultats parlent d'eux-mêmes. Les
retraites par capitalisation, les pensions de reversion et les allocations
d'invalidité dépassent déjà de 50 à 100% les prestations distribuées par les
anciennes caisses de répartition. Les ressources administrées par les fonds de
pension privés représentent 42% du PIB en 1996, soit une trentaine de milliards
de $US. La privatisation des retraites a permis d'améliorer sensiblement le
fonctionnement des marchés financiers et du marché du travail. Le taux
d'épargne chilien est monté jusqu'à 27% du PIB, tandis que le chômage chutait à
5%. Le taux de croissance de l'économie a doublé, passant de 3% à 6,5% en
moyenne sur les douze dernières années. Il ne fait aucun doute que la
privatisation des retraites, cumulée avec d'autres réformes structurelles de
grande ampleur, explique ces évolutions positives.
Mais, plus important que ces
indicateurs macroéconomiques, il importe de souligner que les individus ont
recouvré la liberté de planifier leur vie. Les carences structurelles de la
répartition ont été écartées et les retraites ont cessé d'être un enjeu
gouvernemental. Elles reposent maintenant exclusivement sur les choix
individuels et le développement des marchés.
Le succès du système de retraite
privé chilien a poussé sept autres pays d'Amérique latine à emboîter le pas. Le
Pérou (1993), l'Argentine et la Colombie (1994), l’Uruguay (1995), le Mexique,
le Salvador et la Bolivie (1997) ont entrepris des réformes similaires. Dans
ces sept pays d'Amérique, environ 25 millions de travailleurs détiennent
désormais un plan d'épargne retraite privé. Aussi, l'expérience chilienne peut
être instructive pour tous les pays du monde. Même aux Etats-Unis, l'on débat
sérieusement sur la privatisation du régime public de retraite par répartition.
Il faut souligner que l'Old Age and Survivors Insurance (OASI) – qui date de
1935 - est le plus grand programme gouvernemental au monde. Il brasse 350
milliards de $US par an, soit plus que le budget de défense américain pendant
la Guerre froide. Il importe aussi de souligner que le pouvoir d'attraction de
la capitalisation s'étend jusqu'aux pays de tradition socialiste. A titre
d'illustration, des officiels de la République Populaire de Chine sont venus au
Chili pour y étudier le nouveau système de plans d'épargne retraite (…) D'une
manière générale, il est possible qu'avant l'entrée dans le nouveau millénaire,
de nombreux pays, incluant ceux des Amériques, aient privatisé leur système de
retraite. Cela permettrait une importante redistribution du pouvoir de l'Etat
vers l'individu. Un tel accroissement de la liberté individuelle est de nature
à susciter une croissance rapide de l'économie et une réduction de la pauvreté,
notamment chez les personnes âgées.
Les plans d'épargne retraite chiliens
Depuis la réforme de 1980, les
actifs chiliens et leurs employeurs ne versent plus aucune cotisation sociale
aux pouvoirs publics. Les retraites, au lieu d'être versées par l'Etat,
dépendent désormais des sommes accumulées dans les plans individuels d'épargne
retraite[1].
Les employeurs doivent y déposer chaque mois un dixième des traitements versés
à leurs salariés. L'obligation légale porte seulement sur les premiers 22.000
$US de revenus annuels. Par conséquent, le volume d'épargne retraite
obligatoire diminue à mesure que les salaires augmentent avec la croissance de
l'économie. Ce niveau d'épargne obligatoire a initialement été fixé moyennant
l'hypothèse d'un rendement net moyen de la capitalisation de 4% pendant la vie
active. L'objectif était que le retraité moyen accumule assez de capitaux pour
obtenir une pension équivalente à 70% de son salaire de fin de carrière.
Les actifs ont, en outre, la
possibilité d'épargner un second dixième de leur salaire qui, lui aussi, ne
supportera pas d'impôt sur le revenu. Cette possibilité est particulièrement
intéressante pour ceux qui souhaitent prendre une retraite anticipée ou obtenir
une pension plus élevée. Chaque actif choisit le gestionnaire de son plan d'épargne
retraite parmi les Administradoras de
Fondos de Pensiones (AFP). Ces fonds de pensions privés ne peuvent pas
s'engager dans une autre activité. Ils
sont soumis à une réglementation gouvernementale destinée à prévenir le
vol ou la fraude et à limiter les risques financiers grâce à une
diversification des placements. Une entité gouvernementale indépendante, la Superintendence des AFP, veille au
respect des normes techniques, sans pour autant ériger de barrière à l'entrée
de ce marché.
Les AFP gèrent chacune un fonds
de pensions. Elles décident librement des investissements en actions et en
obligations et ne sont pas obligées d'investir dans des titres de dette
publique gouvernementale ou dans tout autre type de placement. Les
gestionnaires se contentent de respecter un minimum de règles sécuritaires. Les
pouvoirs publics déterminent des plafonds pour les différents types de
placements et des ratios de diversification des portefeuilles. Il est prévu que
es contraintes seront progressivement assouplies lorsque les gestionnaires
d'AFP développeront leur savoir-faire. D'un point de vue légal, les AFP sont
des entités distinctes du fonds de pension qu'elles gèrent. Ainsi les actifs du
fonds – c'est-à-dire les investissements des travailleurs – ne sont pas affectés
en cas de faillite de l’AFP.
Les actifs sont libres de
changer d'AFP et il y a libre entrée sur le marché. Les gestionnaires de fonds
sont en compétition, cherchent à offrir le meilleur service client et taux de
rendement, tout en minimisant les frais de gestion. Chaque actif dispose d'un livret nominatif et reçoit des relevés
trimestriels l'informant des performances de son fonds de pension et surtout du
montant accumulé sur son plan épargne retraite. La somme en question lui
appartient et sera utilisée pour financer sa retraite ainsi que la pension de
reversion au dernier vivant.
Comme on le supposait, les
aspirations individuelles relatives à l'âge de la retraite diffèrent
énormément. Certaines personnes veulent travailler toute leur vie, d'autres
attendent impatiemment leur retraite pour se livrer à leur passe-temps favoris,
tels que l'écriture ou la pêche. L'ancien système de retraite par répartition
ne permettait pas de prendre en compte cette diversité. Seule la pression
collective et les calculs politiciens entraient en ligne de compte, ce qui
avait par exemple conduit à abaisser l'âge de la retraite sans pour autant que
cette mesure soit financée. La répartition imposait un moule unique là où la
capitalisation respecte la diversité des préférences. Ces préférences seront
traduites en choix individuels, permettant à tout un chacun de réaliser ses
aspirations. Concrètement, des postes informatiques en libre accès sont
présents dans les succursales de nombreuses AFP. Les actifs peuvent les utiliser
pour calculer la valeur probable de leur pension en fonction de la fraction du
salaire épargné et de l'année à laquelle ils comptent prendre leur retraite.
L'épargnant peut aussi indiquer le montant de la retraite qu'il espère recevoir
à partir d'une date précise et l'ordinateur lui calculera le montant des
versements mensuels à opérer. Il suffira au salarié de demander à son employeur
de modifier en conséquence les retenues sur son salaire. Bien sur, il est
possible d'ajuster ces retenues en fonction des performances du fonds de
pension choisi. Contrairement à la répartition – nécessairement uniforme – la
capitalisation offre l'immense avantage d'offrir une solution sur mesure au
futur retraité.
Comme mentionné préalablement,
les contributions du travailleur sont déductibles de son impôt sur le revenu.
Le plan d'épargne retraite, dont les produits sont exonérés, ne supporte aucun
frottement fiscal. Les capitaux ne seront assujettis à l'impôt sur le revenu
qu'à partir de la retraite, au gré des retraits et de la fiscalité en vigueur.
Ce système de capitalisation
concerne à la fois les employés du secteur privé et ceux du secteur public.
Tous les salariés doivent posséder un plan d'épargne retraite et les
travailleurs indépendants peuvent en ouvrir un s'ils le désirent, ce qui incite
les travailleurs au noir à rejoindre l'économie officielle. Seuls sont
dispensés les membres de la police et des forces armées dont les pensions sont,
comme dans d'autres pays, à cotisations et prestations définies. A mon avis – qui
n'est pas encore le leur -, ils feraient mieux de quitter la répartition et
d'opter pour des plans d'épargne retraite.
Les pouvoirs publics aident les
retraités ayant cotisé vingt ans, ou plus, lorsque leur plan d'épargne retraite
ne permet pas de disposer d'une pension supérieure ou égale au minimum
vieillesse. Ces retraités recevront le minimum légal dès lors que leur plan
d'épargne retraite sera épuisé. Il faut souligner que cette solution permet
d'éviter que certains ne soient a priori considérés comme "pauvres".
C'est seulement a posteriori, lorsque l'épargne individuelle est épuisée, que
le retraité reçoit une pension publique. Les retraités n'ayant pas 20 années de
cotisation peuvent quant à eux demander une aide aux autorités, mais son
montant sera sensiblement moins élevé.
Les plans d'épargne retraite
intègrent aussi une assurance décès et incapacité. Les AFP souscrivent des
contrats idoines auprès d'assureurs privés et les refacturent aux épargnants
qui supportent une contribution supplémentaire d'environ 2,9% des salaires,
commission comprise.
A l'image de ce qui se faisait
dans l'ancien système par répartition, l'âge de la retraite a été maintenu à 65
ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes. Il était inutile d'ouvrir un
débat sur cette question, car ce seuil est artificiel dans la mesure où la
notion de retraite évolue lorsque l'on passe de la répartition à la
capitalisation. Dans le nouveau système chilien, une personne a droit à une
retraite anticipée dès lors que son plan d'épargne lui permet d'acquérir une
"pension acceptable" (50% du salaire moyen des 10 dernières années
dès lors que cette somme dépasse le minimum vieillesse). Dans ce cas, elle
n'aura pas droit au minimum vieillesse tant qu'elle n'aura pas atteint 65 ou 60
ans. Par ailleurs, les actifs peuvent continuer à travailler après leur
retraite. Ils cumuleront leur pension et les revenus de leur travail, sans être
astreints à une épargne obligatoire du dixième du salaire. Ainsi, la retraite
correspond au moment où l'actif cesse d'alimenter son plan d'épargne retraite
et commence à le vider, mais ne coïncide plus nécessairement avec le retrait du
marché du travail. En aucun cas, il n'y a obligation d'arrêter une activité,
quel que soit l'âge, ni obligation de continuer à travailler et épargner en vue
de la retraite dès lors que l'on s'est constitué une pension confortable.
La personne qui prend sa
retraite a le choix entre deux modes de sortie. Elle peut utiliser le capital
de son plan d'épargne pour acheter une annuité auprès de n'importe quelle
entreprise privée d'assurance vie. La rente viagère acquise garantira un revenu
mensuel indexé sur l'inflation (le marché financier chilien propose des
obligations indexées permettant aux assureurs de se prémunir contre ce risque)
ainsi qu'une pension de reversion aux ayants droit. De façon alternative, le
retraité peut laisser ses fonds dans son plan d'épargne et opter pour des
sorties en capital programmées. Dans ce cas, il est autorisé à effectuer des
retraits plafonnés en fonction de son espérance de vie et de celle de ses
ayants droit. L'avantage de cette solution est, qu'en cas de décès, les
capitaux restant sur le plan d'épargne retraite reviendront aux héritiers.
Indépendamment du fait qu'il ait opté pour l'annuité ou les retraits programmés,
le retraité pourra retirer d'un coup tous les capitaux excédentaires dès lors
qu'il se sera préalablement assuré d'un pouvoir d'achat équivalent à 70% du
dernier salaire.
Cette capitalisation évite les
dysfonctionnements des systèmes de retraite par répartition et respecte la
démographie. Dans une population vieillissante, le nombre d'actifs par retraité
baisse. Mais, grâce à la capitalisation, les retraites sont provisionnées et la
population active n'est pas mise à contribution. A l'opposé des situations
critiques observées dans de très
nombreux pays, il n'y a plus de place pour un conflit intergénérationnel et les
risques de défaillance du système de retraite sont évités.
Il importe de préciser que les
plans d'épargne retraite chiliens se distinguent des fonds de pension
d'entreprise. D'une part, ces derniers imposent des pénalités aux salariés
démissionnant avant la fin de leur carrière. D'autre part, les fonds
d'entreprise posent un problème de sécurité. En cas de défaillance de l'employeur,
le salarié risque de perdre à la fois son emploi et son droit à retraite. Par
contraste, les plans d'épargne retraite sont indépendants des employeurs.
Propriété du salarié, ils sont investis en valeurs négociables, ce qui permet
d'évaluer leur valeur au jour. Les plans d'épargne, facilement transportables
d'une AFP à une autre, ne verrouillent pas les actifs chez un employeur. En
n'entravant pas la mobilité nationale ou internationale, ils contribuent à
fluidifier le fonctionnement du marché du travail, sans pénaliser ou favoriser
l'immigration. La capitalisation contribue aussi à assouplir le fonctionnement
du marché du travail dans la mesure où de plus en plus de personnes, notamment
les femmes et les jeunes, peuvent travailler à mi-temps ou interrompre leur
activité. Dans un système de retraite par répartition, ces carrières atypiques
et incomplètes suscitent des problèmes de reconnaissance des droits. Ce n'est
plus le cas avec les plans d'épargne retraite, puisque l'arrêt et la reprise
des cotisations ne posent aucun problème de calcul des droits.
La transition
Un des défis pour les autorités
est de définir le système permanent de retraite par capitalisation. L'autre
est, pour les pays qui ont un système de retraite par répartition, de réussir
le passage à la capitalisation. Cette transition doit prendre en compte les
caractéristiques particulières de chaque pays et, tout particulièrement, les
contraintes budgétaires. Au Chili, nous avions établi trois règles de base
:
1. Le
gouvernement s'engage à ce que les retraités ne soient pas affectés par la
réforme et garantit le montant de leur pension. Cet engagement est important
dans la mesure où les recettes de cotisations de Sécurité sociale vont
sensiblement baisser avec le passage des actifs à la capitalisation. Les
régimes par répartition seront donc encore moins à même de payer les retraités
avec leurs seules ressources traditionnelles. Mais dans tous les cas, il serait
injuste de modifier les pensions des retraités ou de décevoir les anticipations
des personnes proches de la retraite.
2. Tous
les actifs cotisant déjà au système de retraite par répartition avaient le
choix de continuer à le faire ou d'opter pour la capitalisation. Ceux décidant
de quitter l'ancien système se sont vu décerner un "bon de reconnaissance"
des droits qu'ils avaient préalablement acquis en répartition. Indexé et
rémunéré à 4%, ce bon a été déposé dans leur tout nouveau plan d'épargne
retraite. Le gouvernement s'est engagé à le rembourser dès lors que son
propriétaire atteint l'âge légal de la retraite. Ce bon est aussi négociable
sur un marché secondaire, ce qui permet de le vendre prématurément pour
financer une retraite anticipée. De cette manière, les actifs qui cotisent en
répartition depuis des années ne sont pas pénalisés lorsqu'ils décident de
passer en capitalisation.
3. Tous
les nouveaux arrivants sur le marché du travail ont été obligés d'ouvrir un
plan d'épargne retraite et de capitaliser. Plus personne ne rejoint le système
de retraite par répartition qui, indépendamment de cette réforme, n'était pas
viable à moyen terme. Les caisses par
répartition n'auront plus aucune ressource propre lorsque leur dernier cotisant
atteindra l'âge de la retraite. S'ouvrira alors une phase transitoire finale,
durant laquelle les pouvoirs publics assumeront seuls le versement des
prestations. Le meilleur moyen de réduire l'emprise de l'Etat dans la vie de
tous les jours est de planifier dès à présent l'extinction des programmes
publics, ce qui empêchera qu'un gouvernement d'alternance ne les ressuscite.
Après plusieurs mois de
pédagogie et de débat national autour de ce programme réformateur, la loi sur
la réforme de la retraite a été ratifiée le 4 novembre 1980. Afin de mettre sur un pied d'égalité tous
ceux qui désiraient créer une AFP, ce texte a établi un moratoire de 6 mois.
Durant cette période, aucun intervenant n'a pu commencer ses opérations ou même
faire de publicité. La retraite par capitalisation, conçue en novembre 1980,
est devenue une réalité à partir du 1er mai 1981. Cette date symbolique,
qui coïncide avec la fête du Travail, n'a pas été choisie au hasard. Loin
d'honorer une conception passéiste de la lutte des classes, il s'agissait de
célébrer le jour où les actifs, émancipés d'une répartition ruineuse,
recouvraient leur liberté de choix.
L'instauration de la
capitalisation a donné lieu à une redéfinition des salaires bruts de façon à
intégrer la plus grande partie des cotisations retraites anciennement
patronales. L'effort d'épargne salariale a été calculé sur ce brut réévalué.
Dans la mesure où les prélèvements représentaient désormais moins de 13% des
salaires, les salaires nets de ceux qui sont passés à la capitalisation ont
augmenté approximativement de 5%.
Même si une partie des anciennes
cotisations patronales ont été converties en taxe transitoire sur le travail[2],
cette réforme a permis de rapprocher le salaire brut du coût total employeur.
Ce faisant, la transition a brisé le miroir aux alouettes d'une sécurité
sociale financée conjointement par l'employeur et son salarié. D'un point de
vue économique, force est de constater que les actifs supportent la quasi
totalité des prélèvements – "patronaux" ou "salariés" – dès
lors que l'offre globale de travail est inélastique. Le coût du travail ne peut
excéder sa productivité marginale et les salaires nets sont d'autant plus
faibles que les charges sociales sont importantes. Les employeurs intègrent ces
réalité lors de leurs choix d'embauche ou du calcul des rémunérations. En
révélant la vraie nature des prétendues cotisations "patronales", la
réforme a mis fin aux manipulations politiciennes des taux de cotisation qui
induisaient en erreur les salariés. Ces derniers savent désormais que leur
salaire net est fixé par le jeu des forces du marché et qu'ils supportent tout
le coût de la protection sociale.
Le financement de la transition
est une question hautement technique qui doit être abordée en fonction des
contraintes de chaque pays. Dans le cas du Chili, la dette implicite du système
de retraite représentait 80% du PIB en 1980, à l'issue d'une première réforme
de la répartition[3].
Le gouvernement chilien a
utilisé 5 instruments pour assumer la charge transitionnelle inhérente au
passage à la capitalisation :
1. L'actif
et le passif du bilan étatique ont tout d'abord été équilibrés grâce à la
privatisation d'entreprises et de biens publics. La charge des retraites a été
partiellement contrebalancée par ces dénationalisations qui, pour autant,
n'avaient pas exclusivement un but financier. Il s'agissait aussi d'accorder
une plus grande place à la propriété privée, de dépolitiser l'économie et
d'améliorer son fonctionnement.
2. Comme
la capitalisation permet d'obtenir des retraites conséquentes en épargnant
seulement une fraction des cotisations préalablement prélevées par les retraite
par répartition, il a été possible de mettre en place une taxe transitoire ne
réduisant pas les salaires nets et n'augmentant pas le coût du travail.
3. Les
autorités ont créé de la dette publique permettant de partager le coût de la
transition entre les générations futures. Des obligations publiques, émises au
taux du marché, ont permis d'assumer environ 40% du besoin de financement. La
majeure partie de ces titres a été achetée par les AFP, dont les fonds sont
partiellement investis en titres publics. Cette dette publique sera totalement
remboursée lorsque le système par répartition n'aura plus aucun pensionné.
4. La
transition a été un puissant stimulant en faveur de la réduction des
gaspillages publics. Depuis des années, le Ministre des finances met en avant
la nécessité de financer la réforme des retraites pour traquer les programmes
gouvernementaux inutiles et éviter de nouvelles dépenses injustifiées.
5. Le
passage à la capitalisation a dopé la croissance économique et suscité un
accroissement substantiel des rentrées fiscales, notamment en matière de TVA. A
peine 16 ans après la réforme des retraites, le Chili dégageait des excédents
budgétaires.
Comme le précise une étude de la
Banque Mondiale, cet "exemple chilien montre qu'une économie peut assumer
des déficits transitionnels considérables. Il n'y a pas d'importantes
répercussions sur les taux dès lors que le pays concerné présente un degré de
stabilité macroéconomique acceptable et est doté d'un système bancaire et d'un
marché financier fonctionnant correctement"[4].
Les résultats
Les plans d'épargne retraite ont
déjà accumulé 30 milliards de $US, soit un niveau d'épargne intérieure
sensiblement inhabituel pour un pays en voie de développement de 14 millions
d'habitants et d'un PIB de 70 milliards de $US.
Ce capital, investi à long
terme, a non seulement aidé à consolider la croissance économique, mais a aussi
favorisé le développement du marché et d'institutions financières efficientes.
La création des plans d'épargne retraite puis la privatisation des grandes
compagnies publiques ont mis en place un "cercle vertueux." Les
entreprises dénationalisées ont accru leur productivité dans des proportions
colossales et les actifs en ont directement profité. L'accroissement des cours boursiers des privatisées a dopé la
valeur des plans d'épargne retraite. Ainsi, la réforme des retraites a permis
de redistribuer aux actifs une grande partie de la richesse créée par le
processus de privatisation.
Il y a environ 15 AFP en charge
de la gestion des plans d’épargne retraite. Certaines appartiennent aux
conglomérats bancaires ou assurantiels. D'autres sont indépendantes, liéés aux
syndicats de salariés ou à des associations professionnelles. Certaines sont
liées à des compagnies financières internationales comme AIG, Aetna ou Banco
Santander. Plusieurs AFP de grande taille sont cotées à la bourse chilienne,
l'une d'entre elles a même profité de la récente classification des titres de
la dette publique chiliens en "A-" pour se faire introduire à Wall
Street.
Un des effets majeurs de la
réforme des retraites a été l'accroissement de la productivité du capital et du
taux de croissance de l'économie chilienne. Le système de retraite par
capitalisation a rendu le marché du capital plus efficace et influé
positivement sur la croissance sur les 16 dernières années. Le développement
des AFP, intervenants de grande taille, a permis le perfectionnement des
instruments financiers préexistants et suscité l'émergence de nouveaux outils.
La réforme des retraites a aussi contribué à l'assainissement des marchés de
capitaux et à l'instauration d'une transparence accrue. Une activité domestique
de rating s'est développée, de même que le Corporate gouvernance. On observe
notamment que les AFP nomment des "Directeurs externes" dans les entreprises
dont elles possèdent des titres.
Depuis le 1er mai
1981, date du lancement de la capitalisation, le retour moyen sur
investissement a été de 12% par an, soit le triple de ce qui était initialement
prévu. Bien sûr, le rendement annuel a connu les fluctuations caractéristiques
des marchés libres. Il a évolué entre moins de 3% et plus de 30%, mais
l'important reste l'excellent rendement à moyen et à long terme. Les pensions
en capitalisation sont beaucoup plus élevées que celles préalablement obtenues en
répartition moyennant une taxe sur les salaires d'environ 25%. Conformément à
une étude de Sergio Baeza, les retraités ayant capitalisé ont, en moyenne, des
pensions égales à 78% du salaire annuel moyen des dix dernières années de
travail[5].
Comme mentionné préalablement, ces retraités peuvent utiliser à leur guise leur
"excédent d'épargne", c'est-à-dire tout leur capital qui leur reste
dès lors qu'ils ont acquis une rente ou planifié des retraits leur assurant un
pouvoir d'achat équivalent à 70% du dernier salaire. Lorsqu'on réintègre ces
sommes, le taux de remplacement approche 84% du revenu d'activité. Les
bénéficiaires d’une pension d'invalidité reçoivent, quant à eux, 70% de leurs
revenus en moyenne.
Avec de telles performances, la
capitalisation a contribué à réduire la pauvreté. D'une part, elle a permis
d'accroître les pensions vieillesse, de reversion ou d'invalidité. D'autre
part, elle a eu un effet indirect bénéfique en favorisant la croissance
économique et l'emploi. Le nouveau système a aussi permis d'éliminer les
injustices associées à la capitalisation. Nombreux sont ceux qui croient que
les dispositifs publics par répartition redistribuent les revenus des riches
vers les pauvres. En réalité, des travaux récents intégrant les caractéristiques
des actifs et du marché politique montrent que la répartition favorise les
riches et les groupes d'actifs les plus influents[6].
Conclusion
Les plans d'épargne retraite
chiliens sont naturellement devenus extrêmement populaires et ont aidé à
promouvoir la stabilité sociale et économique. Les actifs apprécient leur
caractère juste et transparent. Ils sont heureux de détenir des plans d'épargne
retraite en prise directe avec les performances réelles de l'économie et de
contribuer à enrichir leur pays.
Les chiliens ont massivement
plébiscité la capitalisation. Lorsqu'elle a été mise en place en 1981, les
actifs en poste ont pu opter pour ce nouveau système ou continuer à cotiser en
répartition. Alors qu'on s'attendait à ce que 50.000 d'entre eux choisissent la
capitalisation, ils furent 500.000 à capitaliser dès le premier mois (soit un
quart de la population active). Aujourd'hui, plus de 90% des actifs ayant
cotisé en répartition ont opté pour la capitalisation. Dès 1995, 5 millions de
chiliens possédaient un plan d'épargne retraite. Si ceux n'ayant pas un emploi
à temps plein ou n'appartenant pas à la population active n'opèrent pas de
versement tous les mois, force est de constater que la grande majorité a
préféré le marché au "monstre sacré" que représentait la Sécurité
sociale.
Autre fait marquant associé à cette
transition, le poids des hommes politiques diminue. Ils ne décident plus du
montant des retraites et ne peuvent plus favoriser des groupes particuliers.
Contrairement à ce que l'on observait dans le passé, les retraites ne sont plus
l'objet de rivalités politiciennes et de comportements clientélistes. Elles
dépendent désormais de l'effort individuel d'épargne et des performances
collectives de l'économie. Propriétaires de leur plan d'épargne retraite, les
chiliens sont maintenant maîtres de leur avenir. La capitalisation représente
la principale source de revenus des retraités. Aujourd'hui, l'essentiel de la
fortune du travailleur chilien moyen n'est ni sa voiture, ni sa petite maison -
probablement encore hypothéquée -, mais le capital de son plan d'épargne
retraite.
Le système de retraite privée a eu
une conséquence politique et culturelle très importante. Une écrasante majorité
d’actifs chiliens a rejoint l'économie capitaliste plus rapidement que les
Allemands de l'Est après la chute du mur de Berlin. Ils ont librement choisi
d'abandonner le système public, en dépit des discours alarmistes des dirigeants
syndicaux et de l'ancienne classe politique. Ces actifs – extrêmement attentifs
aux sujets touchant leur vie de près, tels que les retraites, l'éducation, la
santé – ont fait prévaloir leurs intérêts familiaux sur les traditionnels
clivages politiques.
En fait, le nouveau système de
retraite donne aux Chiliens une emprise sur l'économie. Le travailleur chilien
d'aujourd'hui s'intéresse au comportement de la bourse et à l'évolution des
taux d'intérêt. Il sait désormais qu'une mauvaise gestion publique peut réduire
la valeur de ses droits à la retraite. Quand les actifs ressentent qu'ils
possèdent directement une part du pays, sans passer par l'entremise du Parti ou
du planificateur, ils sont nettement plus attachés aux libertés individuelles
et au libre échange.
Au terme de cette brève
présentation d'un rêve devenu réalité, le principal enseignement est que les
seules révolutions qui réussissent sont celles qui puisent leur force dans
l'individu et dans les merveilles qu'il peut réaliser, lorsqu'il est
libre.
Bibliographie
Baeza, S.
(1995) Quince Años Después : Una
Mirada al Sistema Privado de Pensiones, Santiago: Centro de Estudios
Públicos.
Piñera, J.
(1991) El Cascabel al Gato,
Santiago: Editorial Zig Zag.
Piñera, J. (1995) Sin
Miedo al Futuro, Madrid: Editorial Noesis.
World Bank (1994) Averting
the Old Age Crisis, New York: Oxford University Press.
* Traduction de "Empowering Workers : The
Privatization Of Social Security in Chile" Cato Journal, volume 15, n°2.
[1] Pension Saving Account (PSA)
[2] Cette taxe,
supportée par les employeurs, a aidé à financer la transition puis a été éliminée
progressivement, réduisant ainsi le coût du travail.
[3] En 1978, le
mode d'indexation des pensions avait été révisé, des régimes spéciaux avaient
été mis en extinction et l'âge de la retraite avait été reculé.
[4] World Bank (1994) Averting the Old Age Crisis, New York:
Oxford University Press.
[5] Baeza, S. (1995) Quince Años Después : Una Mirada al Sistema Privado de Pensiones,
Santiago: Centro de Estudios Públicos.
[6] Baeza-1995, World Bank-1994.
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